Trajet 2 - Emma et Ali en pleine discussion

- Boarf c'était qu'un chien. Rien de bien méchant. Scientifiquement parlant, tous les organes ayant cessé leurs fonctions se putréfient pour enfin se décomposer d'où l'odeur. C'est naturel. Heureusement que tu fais pas médecine, Emma, sinon tu serais très souvent écoeurée !

Clin d'oeil taquin à la blonde tandis que la future scientifique - du moins l'espère t-elle - tente de trouver une position plus confortable. Elle baisse le ton.

- Dans la boutique ? Ha oui, quelques courses. Rien de bien passionnant, en vérité. Du sel, du sucre, y'en a plus chez moi. Je voulais de quoi nettoyer l'appart à mon retour mais rien trouvé, par contre, j'ai déniché le produit ultime pour rendre une voiture aussi rutilante qu'une neuve ! Non parce que celle de mon coloc, elle fait vraiment poubelle en vérité, je te le dis... Mais chut, il se vexerait... Cela dit, il n'aura plus d'excuse !

Elle rit, semblant sincèrement se moquer de David, son coloc tête en l'air.

- Oh ! Si j'ai tout suivi sinon... C'est hanté ! Un monstro-fantôme infâme qui se nourrit des mouches et qui joue du violon sous l'apparence d'une petite fille ! Bouh !

Elle mime les mains levées comme pour faire peur. Non sans déconner, elle semble vouloir dédramatiser le stress subi plus tôt avant de reprendre son sérieux.

- Y'aurait des légendes urbaines qui courent sur le fantôme d'une petite fille recherchant un violon ? Tu sais toi ?

Elle en profite pour ressortir son lecteur MP3 et son smartphone après, ne soyons pas dupes, avoir tourné la tête quelques instants vers le couloir pour jeter un regard interrogateur à Eddy avant de reprendre la discussion l'air de rien; pianotant de temps à autre sur son tél, une oreillette seulement contre son tympan comme pour atténuer la musique du poste radio. Pincement au coeur, toujours l'air de rien, et foutu soupir.

C'est au tour d'Alison d'ouvrir grands... Les yeux ronds comme des soucoupes ! Ha ui. Manifestement, tous n'avaient pas la même notion d'un week-end. Pour elle, c'était du vendredi soir au dimanche soir. Et encore, elle avait eu la chance de ne pas travailler le samedi.

- Tu es sûre qu'on ne sera pas rentré ? Zut... Mer... Credi. Faut que j'appelle... Mais qu'est-ce que je peux dire ? Je me suis engagée et pas envie de perdre ce job... Y a pas des cars qui retournent en ville de là-bas le dimanche en fin d'après-midi ? Une gare ?

Elle en avait perdu un de job, une fois, et cela lui avait fait tout drôle même si au fond c'était pour la bonne cause. Sentir la friture toute la sainte journée n'était de toute manière pas son truc. A y'est, le moral est beaucoup moins au beau fixe. Quant au reste... Le reste la fait tiquer.

- Mais tu te rends compte, Emma... Si des enfants disparaissent à cause d'un sadique qui n'a jamais été arrêté... Si c'est le même que pour... Enfin tu vois de quoi je veux parler... ? Cela voudrait dire qu'il rôde toujours ?

Ambiance musicale:

La néopaganiste, presque païenne face à la chrétienne. Opposées dans leurs croyances, tandis que l'une s'adonnait au Catholicisme qui enseigne l’abstinence de tout en attendant le Paradis, et la crainte d’un Dieu susceptible et vengeur. L'autre recevait les enseignements sur le sens du sacré de la Nature et de la Vie en général.

Fais ce que tu souhaites, tant que cela ne nuit à personne.

Comment un Dieu ayant expérimenté la vie terrestre pouvait-il punir des êtres ne pouvant être que pertinemment imparfaits, devant apprendre de leurs erreurs pour s'accomplir ?

Si elle avait reçu, en partie, une éducation religieuse comme beaucoup de jeunes filles jusqu'à être baptisée ou célébrer sa première communion, avant de se sentir plus proche d'une autre confession, Alison n'avait jamais compris. Ce qui la mena bien évidemment à chercher des réponses en se tournant vers l'étude des différentes mythologies, puis l'histoire des religions. Catholicisme à l'Islam, de l'hindouisme au Taoïsme en passant par le bouddhisme jusqu'à découvrir bien des similitudes entre les différentes croyances. Jusqu'à la représentation de la Vierge Marie pure, chaste mais ayant enfantée, semblable en bien des représentations aux anciennes icônes féminine de Déités liées à la fertilité notamment.


- Je ne détiens pas la vérité et je ne te demande pas de me croire. J'ai juste lu des articles dans la presse, ou vu des reportages à la télévision. Après, je ne prend pas tout pour argent comptant mais cela m'effraie... Souffrir ? Je le pense aussi, ou au moins a t-il souffert beaucoup et longtemps, avant de se perdre sans être capable de différencier le bien du mal. Je présume, que peut-être, une vie sans amour peut mener à commettre des horreurs...


Oh, bien sûr, pure curiosité personnelle et pour sa culture générale. Jamais n'en avait-elle parlé, encore moins à Emma. Elle respectait les croyances de chacun, sans jamais blasphêmer. Se préférant officiellement agnostique par peur d'être jugée ou de susciter des à-priori dont elle n'avait guère besoin., et ce, même si la wicca était populaire et reconnue aux Etats-unis.

Différentes dans leurs manières d'appréhender le monde, et dans la Foi qui les habitait. Différente mais l'une à côté de l'autre, à deviser bien que la discussion prenne une tournure étrange. Semblables sur bien des points.

Pourtant, dans la manière de penser et de se comporter habituellement pour la rousse, il y avait probablement un mélange de ce qu'elle avait pu grapiller au gré de ses lectures ou de ses apprentissages de la vie. Retenue, empathie, compassion, apporter aide et réconfort à autrui. Peut-être ce qui les avait rapproché.

Pourtant, dans la manière de penser et de se comporter pour la rousse à cet instant, il y avait probablement quelques pas de trop, franchis. Loin de sa façon d'être de naguère, semblant vouloir s'ouvrir sur ses inquiétudes avec une maladresse si inhabituelle. A dire vrai, elle parlait peu de ses ressentis quels qu'ils soient, préférant ponctuer sa vie d'un planning chargé ou en faisant mine de fermer les yeux. Juste à être là quand il fallait.

Trop, sans doute car cela évite de penser tout en contrôlant la prise de risque surtout lorsque cela touchait à l'émotionnel. Trop, sans doute, car cela évite de se déconcentrer sans s'éloigner d'un but bien défini : ses études.

Elle, d'habitude si effacée, réservée sans jamais la moindre indiscrétion avait fait faux bond à tous ses principes.

- Ton frère doit alors beaucoup souffrir mais je souhaite que cela finisse par s'arranger... Vraiment.

Passivement, moins prompte à répliquer. Malaise. Au fur et à mesure que différentes expressions se succèdent les unes aux autres sur le visage juvénile d'Emma, celui d'Alison suit peu à peu le même rythme.

Cassure nette de la chaine alors que la croix symbolique chute au sol comme un monde qui s'écroule. Les signes révélateurs qu'elle avait toujours su voir, et la signification lui saute aux yeux.

A moins que chacun porte sa croix, et que celle d'Emma soit bien plus lourde qu'elle ne l'aurait jamais imaginé. Elle veut se baisser, la ramasser, dire quelque chose mais rien ne vient immédiatement. Son coeur s'est comme cristallisé d'effroi, son ventre se noue, son visage devient blême, sa gorge s'est asséchée alors que le masque face à elle s'est émietté de part et d'autres. Aux yeux rouges, répondent deux perles grises embuées.

Et le masque face à elle se recompose, presque intact. La jeune femme rousse ne sait pas faire ça. Elle n'a jamais su, encore moins mentir ou tricher, juste entière si l'on y prenait garde.

Emma se lève, Alison suit le mouvement pour poser une main sur son épaule sans pour autant chercher à la retenir. Peut-être bien qu'à cet instant, elle aurait voulu la serrer contre elle, comme on le fait pour une soeur. Les mots sont difficilement articulés mais viennent peu à peu, murmurés dans la plus grande sincérité accompagnée par la culpabilité de celle qui est allée trop loin.

- Je suis désolée, Emma. Je... Je ne voulais pas t'offenser... Pas toi, jamais. Crois-moi. Tu ne sais pas à quel point, je suis désolée.

On l'avait averti. Certaines vérités valaient mieux d'être cachées. Mea culpa tardif. Alison se reculera dans le couloir, pour la laisser passer si elle insiste. Et elle répondra à la dernière question presque badine, comme elle pourra, quasie mécaniquement.

- Je peux aller te la chercher... si tu veux. Je suis plus proche... Et je vais plutôt prendre quelques gorgées d'eau. C'est... qu'il fait chaud.

Elle se reculera, raide comme un piquet, le teint pâle; et la main fébrile appuyée solidement sur le dossier du fauteuil, à s'en faire pâlir les phalanges.

- Et... Je dois parler avec Thomas comme tu me l'as conseillé... Pour savoir comment m'organiser.

Accrochée au dossier du fauteuil, comme pour ne pas chuter au sol, elle observe la silhouette, drapée dans sa dignité, aller jusqu'à la glacière. Silencieusement. Son visage reprend quelques couleurs tandis qu'elle inspire profondément, jetant un regard discret à ceux autour en espérant éviter que quelqu'un remarque son malaise.

Aussi ne le pense t-elle pas alors que l'attention d'un groupe est portée sur la tablette d'Eddy. Oh, elle semble comprendre quelque chose puis le jeune homme y est attaché. En d'autres circonstances, elle aurait sourit intérieurement, légèrement amusée de le savoir prêteur des bijoux électroniques qui lui appartenaient. Pas aujourd'hui.

Elle craint de mal comprendre. Le fait de ne pouvoir s'extérioriser. Serait-ce que certaines confessions étaient à ce point inavouables ?

Elles reprennent chacune leurs places. Alison remercie Emma pour la bière; mais la rousse se sent embarassée car elle ne boit aucune goutte d'alcool. Ce serait du gaspillage, pourtant elle ne l'ouvre pas. Préférant s'abreuver de trois gorgées d'eau de la bouteille qu'elle a dans son sac avant de la ranger de nouveau.

- Il fait chaud...

L'excuse parfaite. Tout le monde sait bien évidemment que chaleur et alcool ne font pas bon ménage, l'alcool ayant tendance à déshydrater plutôt que l'inverse... Non ? Euh. Non, en fait, selon ceux dans le bus. Bah, elle était pas moralisatrise pour un sou.

Elle ne sait visiblement pas comment renouer le dialogue, de crainte d'être encore plus maladroite quand la question tombe comme un couperet. Elle a toujours peur de mal comprendre mais son regard reste vrillé sur un point fixe. L'appui-tête du siege en face d'elle.

Des images sépia lui reviennent. Des rires, une voix, une odeur. Un visage. Pincement au coeur. Elle inspire, soupire avant de répondre.

- Tout dépend quel amour, et dans quelle situation. Certains liens sont indéfectibles. Si je devais sauver un membre de ma famille, en donnant un rein ou aller chercher un remède à l'autre bout du monde, je le ferai sans hésiter. Je le protègerai mais s'il dévie, je ne pourrais que l'encourager à faire face à ses responsabilités.

Puis, elle réfléchit à l'autre forme d'amour. En bonne scientifique, officiellement, elle expliquerait que c'est juste une réaction alchimique et hormonale afin de perpétuer l'espèce... ? Ce serait tellement plus réconfortant comme ça.

Nier les évidences jusqu'au bout. Toutes les évidences.

La réponse est d'une sincérité sans faille.

- Quant à l'amour liant un homme et une femme, je ne saurais dire. Dit-elle d'un petit sourire embarrassé Je crois juste, et sincèrement, que si cet autre rencontre des difficultés, j'agirai exactement de la même manière. Mais si cet autre, avec qui j'aurai parcouru un bout de chemin, souhaite partir par désamour... Je lui rendrai sa liberté, sans chercher à le retenir, car mon coeur n'est pas une prison. Je lui souhaiterai d'être heureux et je le remercierai pour tous les souvenirs ensemble, les bons comme les mauvais, car cela m'aura permis d'en être sortie grandie. Sans doute, souffrirai-je mais je sais que la vie continuera, que le soleil se lèvera encore le lendemain, et que l'avenir me réservera encore pleins de choses belles et précieuses...

Alison tourne son regard vers Emma.

- Parce que mon coeur n'est pas une prison et ne le sera jamais.

Alison écoute avec beaucoup de concentration son amie. Concentration perturbée momentanément par la présence d'Eddy souhaitant vraisemblablement changer de place, ou peut-être, demander quelque chose à la française. L'étudiante n'a pas vraiment fait attention à ce qu'il pouvait bien dire,mais elle lève un regard interrogateur vers lui. Peut-être bien une petite moue fugace sur le minois de la rousse.

Rousse que la discussion met mal à l'aise car la vision des deux jeunes femmes ne semble pas raccord. Rousse qui reporte, bien entendu, toute son attention sur Emma

- Facilité dis-tu ? Essayer de retenir quelqu'un contre son gré, au risque qu'il te haïsse et te jette son fiel au visage ? Non. Je pense sincèrement qu'il est plus courageux, au contraire, de s'effacer pour permettre à l'autre de trouver le bonheur s'il ne le trouve pas avec toi. Bien-sûr,après des efforts, des concessions, plus de communication et seulement si, la boucle est bouclée. Je parlais bien d'une relation entre un homme et une femme. Il n'en restera pas moins de l'amour même si cela engendre de la souffrance avec un sentiment d'abandon probable.

Elle regarde par-delà la vitre, le visage tourné vers Emma avant de reposer ses prunelles sur celle-ci.

- Non, si j'ai un enfant. Il sera chair de ma chair et je le protègerai et le guiderai autant que je pourrais pour qu'il devienne un adulte accompli mais, parfois, même les parents les mieux intentionnés, les plus bienveillants "échouent" dans leurs rôles, ou croient avoir bien fait, de leur mieux. Parfois ce n'est pas suffisant. Parfois, les enfants rencontrent des obstacles et des difficultés dont ils ne parlent pas, ou sont incompris et cela peut les détourner du droit chemin. Les parents n'abandonnent pas mais se sentent dépassés et ne savent plus quoi faire. Dès lors, ils peuvent avoir besoin d'être aidés, soutenus, épaulés dans de pareilles situations afin de mieux aider leur enfant. Trouver un lieu de parole neutre par exemple.

Un léger soupir enfin avant qu'elle ne se décolle légèrement de son siège.

- Tu utilises des extrêmes que je ne suis pas capable de concevoir pour le moment. L'amour, si je le lis à travers tes yeux, c'est beaucoup d'humilité, d'abnégation ainsi que de sacrifice. Emma, je te crois mais je te le dis et toi-même le sais. On ne peut répondre à ces questions qu'en y étant confronté soi-même. Je sais qu'on peut s'avilir, tout sacrifier, tout accepter, tuer ou même bien mourir par amour. Tu dis le mariage pour le meilleurs comme le pire; et je sais que chaque être humain est capable du meilleur comme du pire par amour aussi. Peut-être était-ce la réponse que tu voulais entendre de prime abord.

Un moment de silence.

- Il y a ceux qui aiment d'un amour pur et sincère, d'autres qui aiment mais font beaucoup de mal autour d'eux. Aiment-ils mal ? Je l'ignore. Si je le sais, c'est toujours au travers des yeux des autres car je n'ai pas été confrontée à tout cela. Nous le savons toutes deux. Peut-être est-ce la raison pour laquelle j'ai un regard différent.

Elle récite alors dans un français approximatif, à l'accent omniprésent et certainement appris en... phonétique !

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,
Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

Et puis, la question fatidique.

- Et toi, Emma, jusqu'où es-tu allée par amour ?

Les filles s'installent visiblement. La porte se referme derrrière elles et sans doute voudront-elles prendre un repos forcé après ce long voyage. Ranger leurs affaires, se rafraichir... Ou pas.

Alison hoche la tête aux dernières paroles de son amie d'un air grave. Après tout, elles semblaient beaucoup papoter ensemble, se connaitre et le lien qu'elles entretenaient paraissait s'épaissir au fur et à mesure que le week-end avance.

La porte se réouvre et Emma attend sur le seuil de la chambre. Alison allait pour sortir mais se ravise, rangeant quelques affaires dans son sac en bandoulière, jusqu'à transvaser un vaporisateur qu'elle a acheté plus tôt à la station dans son large sac en bandoulière resté sur son épaule. Le reste rejoindra le sac de vêtement qu'elle poussera sous le lit. Alors seulement, elle chuchotera à l'oreille de sa comparse.

- Pour le moment, faisons comme si on prenait cette chambre supposée libre... Pour éviter les questions.

Faut dire que la comparse assistait à la scène surréaliste d'une rousse semblant en proie à de trop nombreux doutes, semblant de moins en moins en confiance. Aurait-elle tort vu tous les signes - mais pas que ça - qu'elle ne pouvait ignorer ?

Et la rousse de saisir doucement le bras d'Emma, geste sans doute pour se rassurer, afin de reprendre les escaliers en sens inverse. A toute question ou regard croisé, elle forcera un sourire commercial se voulant confiant. Son visage semble pourtant pâle et inquiet.

Après tout, faut bien qu'elles visitent les lieux, non ?
A moins que l'une d'elle - ou les deux - soient un peu malades vu l'expression qu'elles arborent ?

Elles descendront les escaliers d'un pas alerte et pressé, si Emma accepte et suit. Avant de, sans préambule, que l'une ou l'autre toque à la porte de la chambre de Thomas.